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Bloas, l'homme
debout
La pochette du single
"L'homme pressé" de Noir Désir, c'est lui ! C'est Paul Bloas. De
Beyrouth à Belgrade, en passant par Brest ou Bordeaux, peut-être avez
vous croisé les personnages de cet artiste peintre brestois qui intervient
"in situ", dans des lieux empreints de drames, d'histoires et de cris.
Plus récemment, Serge Teyssot-Gay, a lui aussi fait appel à Bloas et son
univers pour réaliser la pochette et le livret qui accompagnent son album
solo "On croit qu'on en est sorti" & Rencontre avec un de ces écorchés
vifs. Un de plus, dans la famille Noir Désir.

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Et c'est
vrai qu'il ne fait pas très commode, Paulo, avec ses épais sourcils
froncés, et ses deux billes bleues qui scrutent et embrassent les
alentours sans relâche.
Qu'est-ce qu'il regarde Paulo ?
De quoi est il en train de se nourrir ?
Qu'est ce qu'il engrange dans un coin d'Sil et de tête?
"C'est
vrai qu'il y a une déformation professionnelle hallucinante dans ce
boulot là", confirme t- il. "Vous essayez toujours de trouver des
points. Vous matez & C'est ça, vous êtes un mateur, vous êtes
un vampire. |
 
Artiste,
c'est donc bien ce qu'il pense être aujourd'hui. Oh, pas par frime,
mais à cause de tout ce qui va avec, les tripes, les plumes qu'il
y laisse.
"Il y a des plasticiens et des artistes peintres",
distingue t- il. "Tout le monde
est plasticien. Tout le monde peut prendre un pinceau, faire des
formes, et elles sont toutes aussi valables les unes que les autres
&celles d'un gamin de 4 ans ou celles d'un aquarelliste du dimanche
de 20 ou 70 ans, peu importe. A côté de ça il y a ce métier d'artiste,
et c'est vraiment un métier qui est fortement relié à la passion.
Et c'est du 24 heures sur 24, c'est une sorte de combat."
Et il
est bien loin, le temps où il peignait uniquement par plaisir.
Le voilà donc pris dans ses pinceaux, Paulo, tombé dans l'addiction,
à la recherche de sa dose d'adrénaline, à la recherche de ces dix
secondes qui lui font dire en contemplant l'un de ses personnages:
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Mais
pour atteindre cette décharge jouissive, il lui a fallu "bouffer de la peintoche".
Digérer puis régurgiter tous ces cours d'histoire de l'art, et accoucher
enfin de sa propre écriture.
"Peindre comme on respire", comme il aime à dire.
Quant à l'idée d'intervenir "in situ", au coeur des villes et des quartiers,
c'est tout naturellement qu'elle a germé.
"En fait ça remonte à l'époque où j'étais étudiant aux
Beaux Arts à Brest. A côté de ça, j'étais pion, ce qui me donnait droit
à des congés payés, et j'en ai donc profité pour me balader à l'étranger.
J'étais un peu comme un chien, je laissais une trace derrière moi à chaque
fois, des petits dessins &Et un jour, j'ai laissé des marques plus
importantes. Les personnages sont nés de là &" se remémore t- il. "Quand je voyage et que je me dis tiens, je vais passer
du temps ici, je vais forcément y faire quelque chose. Là, je pars à Madagascar
pour un bon bout de temps : je suis retourné sur les lieux de mon enfance
et en découvrant la ruine d'un camp de légionnaires en baie de Diego Suarez,
je me suis trouvé un prétexte pour rester ".

Ruines, friches,
murs de cités, entrepôts désaffectés, no man's land &
Bloas s'emploie à prêter mémoire et vie à ces ventres vidés.
Il a le don de les repérer, de les comprendre, d'en écouter les pierres,
d'en traduire la chair et les cris.
Et leur redonne voix, à travers ses géants de papier, l'espace de quelques
mois ou de quelques années.
Car Bloas livre son oeuvre en p ture à l'air du temps.
Et c'est avec bonheur qu'il retrouve ses collages à moitié rongés, bouffés,
éventrés par les éléments, les intempéries, ou les hommes &

Ils gagnent en pathétique. En poétique aussi",
s'attendrit-il. "Petit à petit, il y a un certain sens de l'image qui
se transforme, qui évolue. On n'est pas devant une image figée qui vous
regarde et qui vous glace quelque part parce qu'elle ne vieillit pas.
Et c'est ça qui m'intéresse dans mon boulot".
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L'un
des sujets qui guide sa création et lui va droit au cSur et aux pinceaux,
c'est la marge. La marge, sous toutes ses formes. Le sort et les trajectoires
de ces individus qui un jour, tombent.
"A Bilbao notamment, j'ai travaillé sur l'histoire
de ces sidérurgistes. On fermait des hauts fourneaux. Et tout d'un
coup, c'étaient des centaines de sidérurgistes qui n'existaient plus!
Et que devenait le bonhomme là- dedans ? Que devenait l'individu à
partir du moment où on lui retire son groupe ?"
Autre temps fort dans son
parcours : la prison de Pontaniou, à Brest, au sein de laquelle il
s'est enfermé pendant plusieurs semaines.
"Pontaniou, ou Beyrouth, ce sont des expériences
qui m'ont donné énormément de force et d'énergie",
avoue t- il. "Car le fait de pratiquer
des terrains durs et délicats permet de prendre du recul par rapport
à sa peinture, et en même temps, donne la capacité à peindre encore." |

Paul Bloas
avait bien prévenu, il se nourrit de tout. De nous. Au fil de ses errances,
il déterre nos petites et grandes histoires, nous les fait ricocher en
plein cSur. Puis nous laisse là, vacillants, sur le carreau de notre
quotidien.
N.
Choque
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